LA COURTE ECHELLE

Qu'est-ce qui te prend la tête aujourd'hui ma belle ? Tu as peur de quoi, de qui ?

Eux.

Parfois j'ai peur, peur qu'ils arrivent tous et qu'ils nous déchirent.

Ne t'inquiète pas, écoute moi.

Nous.

Nous deux, frère et sœur siamois.

Sans père, sans mère, sans famille.

Orphelins.

Pas de naissance, mais un choix, lucide et éclairé.

Un matin, un soir, une nuit, sûrement d'hiver.

Un acte simple et libérateur commis avec les meilleurs raisons, pleinement justifié.

Nous n'en pouvions plus de suffoquer dans leur chaleur de crématoire. Nous avons été saisis d'un brutal et intense besoin de froid, de vent glacial. Pour trembler, grelotter, claquer des dents sous la chair de poule. Pour nous laver cette odeur de charogne qui nous collait à la peau comme la merde aux poils du cul. La charogne de l'ancien monde, de l'ancienne vie, de chez eux.

Comme le feu, le froid, purifie tout.

En claquant la porte, nous avons tranché net les liens du sang.

Pas de blessure visible, pas de sang répandu.

Le crime parfait.

Nous les avons tués dans notre âme.

Ils sont tombés dans le néant et ils n'en sortiront plus jamais.

Ils n'existeront encore que si tu t'entêtes à y penser.

Tu dois t'empresser d'oublier.

Nous avons dépassé le point de non retour dans le désert d'une steppe glacée.

Dans cet hiver permanent qui nous vient de l'intérieur, nous sommes indestructibles.

Nous.

On est ensemble sans être à deux.

On a inventé cette loi mathématique incontournable.

Deux, ce n'est pas un plus un.

Ça ne fait jamais deux.

Ça reste un et un.

Nous évitons le pire, être en couple.

Nous échappons à cet enfer tiédasse.

Regarde les, les en couples.

La solitude à deux, il n'y a rien de pire.

Ça débute dans l'amour, cette sottise hyper sucrée, et puis ils commencent à s'emmerder ensemble. Pour finir dans la haine, empêtrés dans leurs obligations de sexe et de reproduction.

Ils se croient de granit, ils ne sont qu'édifice de sable, matière à haut pouvoir de friabilité ultra rapide.

Toi.

Moi.

Ce n'est pas le coup de foudre de l'amour qui nous est tombé sur la tête. Mais sans le moindre poil d'hésitation, nous sommes reconnus comme possédant l'un et l'autre la richesse de la solitude volontaire.

La solitude est notre luxe.

Nous sommes riches !