L'ENVOL

Je n'ai pas de mec.

Parce que je ne veux pas de mec.

Je les hais.

L'exemple de ma mère m'en a dégoûté pour toujours.

Il y a David.

Et David, c'est David.

Ce n'est pas un mec, c'est mon jumeau.

Donc on n'est pas « en couple » comme ils disent. Pour être en couple, il faut baiser. Et on ne baise pas entre jumeaux.

David, il est propre.

Il ne sent pas l'homme en trainant derrière lui la pestilence du sexe.

David n'est pas un homme.

Pas de signe secondaire apparent de virilité. Au contraire. Des doigts très fins, des doigts de fille. Aucune musculature, c'est une brindille. Pas un poil sur sa peau très claire, presque transparente, très blanche parce qu'il déteste l'exposer au soleil. Un pénis ridiculement minuscule. Enfin, c'est lui qui le dit et je le crois. Je manque d'éléments de comparaison. Un petit cul bien rond, un cul de fille je trouve. Ça le fait marrer quand je lui dit. Des cheveux longs, bouclés, toujours mal coiffés qui soulignent une androgynie qu'il entretient soigneusement.

David ne veut pas avoir un sexe bien défini.

Il ne croit en rien, athée absolu, il ne prend rien au sérieux. Excepté la poésie et la musique.

La vie est bien trop salope pour que j'y crois. Je suis un poète nihiliste parce que j'ai lu trop jeune de trop méchants livres.

C'est un génie David. Je suis la seule à le savoir. Mais je suis sûre qu'un jour viendra où tout le monde l'admirera.

Il m'écrit, rien que pour moi, des poèmes très sombres que je ne comprends pas pas toujours mais qui me font toujours pleurer tellement ils sont beaux.

Des poèmes dans lesquels il m'appelle la fille au tracé affectif plat, la frigide absolue de partout, l'araignée veuve noire.

Tu es mon poème baudelairien de peau sur les os. Tu ne m'excites pas sexuellement mais tu me files des érections poétiques. Tu as la chatte mise en banquise et je bande aussi fort qu'un eunuque de la cour de Chine. Je n'ai pas de couilles. Notre cœur est noir comme la nuit est nue. La seule jouissance qui nous soit accessible, dans nos nuits comme nos jours et dans nos jours comme nos nuits, est la jouissance du malheur. Toi et moi, nous deux, nous sommes des ARTRISTES.

Tout ça m'inspire. Je vais te faire un poème.

Il monologue comme ça, parti dans l'éternité. Je ne m'en lasse jamais. Je l'écoute, je le regarde, je l'admire. Collée à lui. Ma main sur son sexe et la sienne sur le mien. Pour que ne s'en échappent pas des malheurs qui nous dévasteraient.

C'est dans leur nature. Les jumeaux, ils partagent tout. Les clopes, les pizzas, les benzos, la vodka, les joints, les amis, les amours, les emmerdes. Les fous rires et les coups de cafard. La détestation des animaux et la haine des humains. Les délires dissociés à perte de vue. Le mal à vivre et les psychoses mélancoliques de la lypémanie.

David et moi, nous sommes jumeaux.

David c'est mon secret et je suis le sien.

Secrets absolus.

Pacte tacite et indestructible.

Dès notre premier regard.

Nous ne sommes pas comme les autres. Nous n'avons pas le choix. C'est de naissance. Peut d'avant. Ça nous donne une odeur particulière. C'est en nous sentant que nous nous sommes reconnus.

Question d’instinct animal.

Deux enfants sauvages solitaires.

Dans leur roncier. Propriété privée. Défense absolue d'entrer.

Pas d'amour, pas d'ami, nous sommes immunisés contre les nuisibles.