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19 janvier 2021

LE FANTOME EXPLOSE

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La vie.

Je ne comprends pas.

Cette sensation bizarre d'être moi, un être vivant, au milieu de tous les autres.

Avec un corps mais dans l'absence de corps.

Dans un vide de corps.

Dans un silence de corps.

Je ne me ressens pas, je ne m'entends pas.

Je suis censé vivre et je ne suis rien.

En exil de ce qui devrait être moi.

 

Moi. Je ne sais pas qui est Moi.

Moi n'est pas réel,

Moi est irréel.

 

Je ne suis pas totalement mort mais je ne suis pas complètement vivant.

Etrange sensation d'un entre deux crépusculaire, d'un entre chien et loup qui penche bien plus vers la mort pendant que la vie s'éteint. Le jour décline pendant que la nuit monte dans un soir qui sent la charogne. Moi aussi, mort vivant, je sens la charogne.

 

Une charogne obnubilée par sa putréfaction obscène et indifférente à tout.

Je n’éprouve rien de ces sentiments, de ces émotions que l'ont dits universels tant qu'ils ne me touchent pas personnellement. Je me fous royalement de ce qui peut survenir dans le vaste univers. Ça me laisserait de glace si la planète explosait et se couvrait de cadavres. D'hommes, de femmes, de jeunes, de vieillards, d'enfants. Je crois même que le spectacle me réjouirait.

Je fais seulement semblant pour faire comme eux et pour qu'ils me fichent la paix. Pour qu'ils s’imaginent que je suis des leurs. Souvent, c'est tellement bien imité que je finis par y croire. A n'en plus savoir qui et où je suis.

 

Tout cela n'a aucun sens et je n'ai quant à moi aucun sens.

Ma lucidité exacerbée ne contraint à reconnaître que le jeu n'a aucun sens.

 

Entre zéro et dix ans, s'il s'est passé quelque chose durant cette décennie, je n'en conserve aucun souvenir. Un trou noir. Une inconscience, une inconsistance ectoplasmiques.

Sans sensation vitale.

 

Je venais d'avoir dix ans.

L'inévitable repas familial du dimanche à midi. Pendant lequel je m'ennuyais ferme. Assis au bout de la table, transparent, invisible. Sagement assis sur une chaise que je devais pas quitter sous aucun prétexte. En silence, puisque les enfants, « ça ne parle pas à table ».

Exceptionnellement, numéro 2 m'a pris par le cou et m'a installé au milieu de la tablée. A côté de lui. Ce qui n'inaugurait rien de bon en ce qui me concernait.

Quand il gardait ainsi son jouet sous le coude...

 

J'attendais, en tremblant, qu'il me tombe dessus.

Et ça n'a pas manqué. Il s'en ait donné à cœur joie et ils en riaient tous, ils en riaient. Et moi aussi pour cacher ma peur et bloquer mes larmes. Parce qu'un homme, même à seulement dix ans, ça n'a pas peur et ça ne pleure pas. C'est pas une fillette.

 

Je suis toujours aussi infoutu de m'expliquer la chose. Subitement, brouillage des sons et je voyais tout en flou. Déconnection totale. J'avais du mal à respirer et je transpirais à grosses gouttes en grelottant. Tout avait disparu dans un vide abyssal.

Panique à bord ! J’étais en train de mourir.

Ça ne va pas petit ?

 

J'ai dû regarder numéro 2 bizarrement. Sans lui répondre. Interdiction de se plaindre même en pleine agonie.

 

Tu n'as pas l'air bien. Allez, va faire un tour dehors, va prendre l'air.

 

L'air m'a fait du bien. Retour du son et de la lumière. Je n'avais plus froid au soleil et je respirais à nouveau. Je revenais à moi, je revenais à eux. Je devrais dire que je venais à moi et que je venais à eux. Car pour la première fois de ma vie je me suis vu, je les ai vus.

Le choc violent de la lucidité précoce pour laquelle il m'aura fallu mourir.

 

Un coup de massue sur la tête qui a laissé plus des traces indélébiles. Il m'a brisé, émietté, pulvérisé, dépouillé, écorché vif. Vidé de moi. Moi d'un côté et Moi de l'autre. Moi, dans un claquement de doigts a cessé d'exister. Si tant est que Moi ait existé un jour. Je ne sais pas. Je ne crois pas.

 

Je suis amputé de Moi.

Moi n'est qu'un membre fantôme, un corps fantôme, un esprit fantôme. Un membre, un corps, un esprit fantôme ça n'existe plus.

Mais ça continue à me faire mal.

Sans que je comprenne pourquoi.

 

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