Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Blog méandres
Pages
Derniers commentaires
Newsletter
4 décembre 2020

GARDE CHIOURME

DSC_0009

Depuis longtemps, maintenant, en psychiatrie les unités de soins sont mixtes et c'est très bien ainsi.

C'est évident, c'est humain, dès lors que les deux sexes se rencontrent, surtout dans un huis clos parfois étouffant et souvent douloureux, la question du sexe, inévitablement s'impose.

 

L'institution, dès leur entrée, interdit formellement aux « patients » toute relation sexuelle au sein de l'établissement. Vertueuse interdiction, épaisse couverture de l'hypocrisie, de l'institution qui, plutôt que de réfléchir au problème, et c'en est un, préfère s'en débarrasser. C'est interdit, donc ça n'existe pas. Malgré ce déni farouche institutionnel, ça existe. C'est connu, l'interdit n'empêche rien, au contraire. Il peut même être stimulant.

Moi, j'étais des adeptes de la tolérance vigilante. Nous fermions les yeux et les malades pouvaient venir librement nous en parler, voire nous demander les préservatifs délivrés par la pharmacie. Dès lors que tout cela se passait entre adultes consentants. Dans un consentement éclairé et mutuel. Et dans le plaisir partagé. Ça pouvait être, pourquoi pas, thérapeutique.

Nous veillions seulement à ce que cet échange ne soit pas prétexte à l'exploitation sexuelle de l'un par l'autre, que cette relation ne soit pas toxique pour l'un des deux, ne soit pas entachée de la moindre perversité.

 

Dans une équipe de soins, et c'est bien naturel, les avis divergent. Cela peut être constructif et améliorer la qualité des prises en charges.

A contrario, quand on abordait la question du sexe, c'était une autre paire de manches. Comme tous les soignants n'étaient pas, autant que faire se peut, avec leur propre sexualité, les rancoeurs, les rancunes, les ressentiments, les frustrations remontaient à la surface pour y exploser. L'échange tournait vite, et violemment, au pugilat.

 

Je me souviens...

 

Je travaillais de nuit à l'époque. Et dans cette équipe, il y avait Martine. La monstrueuse Martine. Et quand je dis monstrueuse, c'est à la limite de l'euphémisme. Monstrueuse. A tous les niveaux.

Comme disait mon père, elle était moche et vieille mais jeune, déjà, elle avait du talent pour devenir pas belle. Chez elle, ce n'était plus du talent, elle confinait au génie !

Elle dépassait largement les cent kilos pour un petit mètre soixante. Le cheveux grisonnant, long, gras, sale. Les ongles endeuillés sous un vernis du pire mauvais goût écaillé. Les mollets sans jamais avoir épilés terminés par des chevilles éléphantesques d'oedèmes, la corne des talons profondément crevassée. Elle puait la vieille transpiration bien rance et la très mauvaise eau de Cologne.

Ça pour le physique.

A l'intérieur, elle n'était pas davantage reluisante. Si le corps est le reflet de l'esprit, chez elle, il n'y avait aucun doute. Mauvaise, méchante, perverse, menteuse, voleuse, fouille merde, langue de pute. Pour faire court. Sans lui pardonner pour autant, on pouvait la comprendre. Pour parler comme Brassens, ce ne devait pas être très souvent que son mari, son parfait reflet, lui déridait les fesses. Cent fois sur cent, elle s'emmerdait en baisant. D'où une sur dose de frustration sexuelle. Qu'elle faisait payer cher à tous ceux qui lui semblait avoir, autant faire se peut, une sexualité épanouissante. Ce qui était le cas de ses collègues dans l'ensemble.

 

Alors la sexualité des malades !

 

Je résume sa pensée.

Seuls les gens normaux ont droit à une vie sexuelle.

Les malades mentaux n'ont pas, ne peuvent pas, ne doivent pas avoir de sexualité.

Et elle y veillait.

 

Gare à celui ou à celle qu'elle surprenait en pleine activité masturbatoire. Un flot de reproches, d'imprécations, d'insultes, d'injures lui tombait dessus sans prévenir. Lui coupant pour la nuit toute pulsion libidinale. Et toute possibilité d'endormissement. Le lendemain matin, sans sourciller, avec la haute conscience d'accomplir son devoir d’infirmière, elle notait insomnie totale.

 

Avec moi, ça n'arrive jamais !

Aussi péremptoire que fut son affirmation, aussi inébranlable que fut sa certitude, hé bien si ça arrivait avec elle. Rarement, il est vrai, mais ça arrivait.

Et à chaque fois, comme j'avais pu le constater, elle déclenchait un véritable tsunami.

Elle hurlait comme trente six furies enragées, ce qui réveillait tout le monde, en séparant manu militari les coupables qu'elle enfermait à double tout, chacun dans sa chambre.

Je me souviens de cette nuit où elle avait surpris deux jeunes flirtouiller du bout des doigts, du bout des lèvres. Rien de bien méchant. Il n'y avait vraiment pas de quoi fouetter un chat. Elle avait attrapé la fille quasi par les cheveux pour la ramener dans sa chambre en écumant de rage. Naturellement, elle les a bouclé à double tour avant de revenir à son tricot. Discrètement j'avais déverrouillé les portes. Elle n'avait rien vu. Dans le cas contraire j'aurais invoquer une envie d'aller aux toilettes et mon oubli du tour de clef punitif.

Ont suivi deux pages sur le dossier de soin de chacun, un rapport aux cadres de nuit et de jour, au cadre supérieur et au médecin chef. Rapport qu'il ne lisaient qu'à peine et qui finissait à la déchiqueteuse. Au pire, les contrevenants s'en tiraient avec un rappel rapide à la loi et un petit discours moralisateur.

Et on en parlait plus, l'affaire était close.

 

Les malades, moins bêtes qu'elle le croyait, même les plus déficitaires, la connaissaient, la craignaient, la redoutaient, la détestaient. Et à chacun d'élaborer ses petits stratagèmes pour la rouler dans la farine. Rien de plus facile que de tromper un tyran. Et comme Radio HP émettait sur toutes les longueurs d'ondes, les derniers entrés étaient vite prévenus par les « anciens ».

 

Quant à ses collègues, pour la plupart, nous nous battions pour ne pas bosser avec elle.

Publicité
Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 50 180
Publicité
Blog méandres
Archives
Blog méandres
Publicité