L'ANOREXIQUE

A vingt ans révolus, Clara, Clara est toujours intégralement vierge.

Hymen intact.

Ce n'est pas par vertu, par morale, par peur ou dégoût du corps et du sexe.

Pas non plus parce que d'une nature nature rêveuse et romantique, elle attend l’hypothétique prince charmant pour lui offrir, dans un geste sacrificiel d'amour, son ventre jamais défloré.

De l'indifférence.

Seulement de l'indifférence aux choses du cœur et du corps.

Une grande fille filiforme jusqu'à la maigreur.

Qui n'avance que masquée sous des vêtements noirs trop grands pour elle.

Cacher le corps, effacer les formes.

Ne rien montrer pour ne pas attiser le désir dans les yeux des hommes.

Ni des femmes non plus.

Elle n'est pas hétéro, elle n'est pas homo, elle n'est pas bi.

Sexuellement, elle n'est rien.

Clara, une fille sans rêve, sans fantasme et par conséquent sans désir.

Génitalement anesthésiée de naissance.

Le sexe n'est jamais entré dans sa vie.

Elle ne se masturbe même pas. Elle a essayé quand elle était très petite. Elle a trouvé ça ennuyé. Presque douloureux. Elle a cessé très vite toute activité onaniste.

Quel intérêt pour une femme de s'allonger sur le dos, cuisses béantes, sous un type qui lui défonce le ventre en ahanant comme un bûcheron, en transpirant comme un veau et lui souille le vagin de sperme ?

Elle ne comprend pas.

Pour l'orgasme ?

Ils en parlent sans arrêt. A son avis, beaucoup de bruit pour pas grand chose. Elle a trop entendu sa mère, quand elle recevait l'après midi, dans son lit une de ces racailles qu'elle allait pécher dans les quartiers pourris. L'orgasme, c'est une invention de poète. Comme l'amour.

Pour la reproduction ?

Se reproduire.

Elle n'y pense même pas.

Imposer la vie à quelqu'un qui n' rein demandé, c'est dégueulasse. Et puis elle n'aime pas les enfants. Ils sont chiants.

Alors, porter dans son ventre un petit animal qui la mangera du dedans, la fera grossir, la fera souffrir, non, merci, très peu pour elle.

Elle connait le principe suivant.

Post coïtum animalus tristus est.

Il y a bien assez de raisons d'être tristes.

Ce n'est pas la peine d'en ajouter.