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17 novembre 2016

QUARANTE ANS DE PSYCHIATRIE II

Je ne vais pas vous faire un discours hautement philosophique, un discours politiquement engagé. Non, je vais rester très terre à terre. Mais quarante années de psychiatrie au compteur. Quatre décennies au milieu des fous. Ça donne un peu le droit de dire ce que l'on pense non ?

 

J'aurai tout entendu et son contraire quant aux fous et à la folie. Le vulgus pecum qui parle sans savoir et se lance dans une discussion philosophique de café du commerce ou dans une psychanalyse de comptoir. J'ai entendu des journalistes inspirés interroger des psyquelquechoses pédants, convaincus de leur supériorité sur tout le reste de l'univers. Parce qu'au lieu de parler simplement de la folie et des fous, ils utilisent un vocabulaire ésotérique dans les tortueuses circonvolutions sémantiques d'un discours abscons dont il n'est même pas certain qu'eux-mêmes le comprennent. Ils parlent psy comme si je parlais le martien, de manière phonétique mais sans rien y comprendre. A chacun sa chapelle. Mais les croyants les plus fanatiques, les plus intolérants, ce sont les freudo-lacaniens. Freud est dieu, Lacan est le pape. Ils sont morts tous les deux mais ils ont encore leurs gardiens du temple et de l'orthodoxie. Ces gens détiennent LA vérité. Ils en ont de la chance. Beaucoup moins les patients qu'ils prennent en charge. Enfin qu'ils prétendent prendre en charge. Voir ci dessus. Et gare à l'incroyant, l’hérétique, l'impie, l'iconoclaste qui ose contester LA vérité. Il est d'autres bûchers que les fagots du Moyen Age. Mais si la psychanalyse avait fait évoluer la psychiatrie, ça se saurait. N'en déplaise à ces gens là, ce sont les neuroleptiques et la volonté des médecins et des infirmiers qui ont fait que la psychiatrie est devenue une discipline de soins comme les autres... ou presque. Sans ces deux facteurs déterminants et oh combien, jamais n'auraient pu être mises en places les thérapies institutionnelles qui ont permis même à de très anciens malades, hospitalisés depuis des années, de sortir de l'hôpital et de vivre dans la ville. Thérapies institutionnelles aujourd'hui rejetées et remplacées par des injections de neuroleptiques retard en centre médico-psychologique.

 

Je sais, on n'a plus le droit de dire fou. On n'a plus le droit même de parler de malades mentaux. La pudeur du politiquement correct veut nous faire dire les handicapés mentaux.

 

Mais ça veut dire quoi handicapés mentaux ? Tout c'est à dire rien. Et c'est grave, c'est grave parce que lorsque les choses ne sont nommées clairement et simplement, elles se vident de sens et disparaissent. Mais cela part naturellement d'une bonne intention, dont l'enfer est pavé. Professionnels de santé mentale, politiques, services sociaux, familles de malades nous expliquent que de parler de fou ou de malade mental, c'est, nous dit-on, ostraciser des dits fous et malades mentaux. Je rigole. Jaune. Les « handicapés mentaux » nous raconte-t-on sont des gens comme les autres. Hé bien non, simplement parce que personne n'est des gens comme les autres. Le fou ni plus ni moins que les autres. Dans notre société normalisatrice, le particularisme n'est pas bien vu. Alors on nie, on dénie l'un des particularismes les plus voyants et aussi des plus effrayants, la folie. Le fou n'a plus droit à sa folie. On vaut faire disparaître la folie donc le fou. Inquiétant non seulement pour le fou mais pour toute l'espèce humaine. Fou, que par ailleurs, je souris avant d'en hurler, on veut intégrer à la citée. Première objection, on l'intègre de force sans lui demander son avis. Est-ce là respecter sa liberté, à ce fou, liberté que tous les bien pensants de la chose réclament en son nom, de qui je me mêle, à corps et à cris. Paradoxe. Deuxième objection. Les fous dans la cité, allez les voir, ces grandes réussites thérapeutiques qui rendent si fiers d'eux les psychiatres et leurs équipes. Allez les voir ces fous que la psychiatrie moderne et avancée a jetés sans préparation, avant même que leur état soit stabilisé, dans la cité comme ils disent, c'est à dire dans l'errance dans les rues et les couloirs de métro, en proie à leurs délires, à leurs hallucinations, à leurs angoisses, à leurs intolérables souffrances. Oh il est bien prévu une prise en charge de terrain. Au bout de quelques semaine la plupart sont en rupture thérapeutique. Et que croyez-vous qu'il se passe ? Que ces fous dangereux achètent un grand couteau et se mettent à trucider à tout va ? Je sais bien que cela ferait la joie des journalistes. Mais non, la réalité ce n'est pas ça. Ils déambulent, abandonnés dans leur misère psychique et physique, se font agressés, crèvent parfois de faim et de froid, se retrouvent an prison où ils n'ont rien à faire. S'ils sont ré hospitalisés, ils sortiront très vite dans les mêmes conditions. La réalité, c'est ça. Je ne voudrais surtout pas que l'ancien asile derrière ces hauts murs revienne. Mais au moins, il avait une fonction de protection que l'hôpital a perdu au cours de la dernière décennie. Attention, je veux préciser, je tiens à signaler, qu'il y a encore des équipes qui font du bon boulot et dont les prises en charges sont dignes de véritables soignants et respectueuses du malade. Simplement la tendance actuelle ne va pas dans ce sens là. Ces dernières équipes sont d'ailleurs méprisées et ridiculisées par les autres, les « modernes ». Modernes peut être, mais alors il faudra m'expliquer pourquoi le nombre de mesures d'isolement et de contention grimpe en flèche, de façon quasi exponentielle. Et ce n'est pas un détail. Ce n'est pas moi qui le dit, ce sont les chiffres des juges charges des lieux de privation de liberté. Et ces gens là parlent de psychiatrie citoyenne, votent à l'extrême gauche (tiens tiens) et sont prêts à faire la révolution. Ben voyons. Mais quand le législateur vote une loi liberticide relative aux hospitalisations sous contrainte, ils ne bougent pas. Étrange. Ah non ! Devoir de réserve sans doute. Non. Attitude de protection. Tant qu'ils ne font pas de bruit personne ne vient regarder dans leur chaudron quelle immonde ragougnasse ils tambouillent aux frais du contribuable et au mépris du malade. Mais crève le malade plus tôt que de renoncer à leur idéologie iatrogène. Vous avez dit serment d’Hippocrate ? Je ris. Jaune.

 

Moi, jeune étudiant infirmier et jeune diplômé, je croyais que tous ces gens avaient suffisamment réfléchi, travaillé, évolué pour être capable de la plus grande tolérance,de la plus grande honnêteté au moins intellectuelle. Qu'ils plaçaient le malade et le soins avant tout. Je l'ai cru longtemps. Et il faut bien reconnaître que les vieux psychiatres, c'est à dire les psychiatres de ma génération, travaillaient ainsi. Le soin, le patient d'abord. Mais les vieux psychiatres comme les vieux infirmiers de secteurs psychiatriques disparaissent. Et avec eux, c'est une constatation, la psychiatrie de soin disparaît. La psychiatrie de soin me direz-vous, pourquoi, il existe une psychiatrie qui ne soit pas de soin ? Hé bien oui, même si cela vous surprend. C'est cette, oh non, je n'ose pas l'appeler psychiatrie, je m'y refuse, et pourtant il le faut bien. C'est cette psychiatrie que je viens de décrire. Non seulement elle ne prend plus ni la folie ni les fous en charge mais elle s'est soumise au diktat des labos pharmaceutiques en abandonnant la clinique psychiatrique classique au profit du DSM américain élaboré par les firmes pharmaceutiques. On finira un jour par oublié le nom des pathologies et définir le malade et ses troubles du nom de la molécule censée les soigner. Je vous assure que je n'exagère pas. Où sera alors passé l'humain ? Imbécile que je suis. Je parle d'humain quand des millions de dollars ou d'euros sont en jeu ! Mais il y a encore pire. En se plaçant sous le contrôle du ministère de l'intérieur et de la justice, la psychiatrie participe au flicage de la société, toujours selon les sacro saint principes du DSM. Il y a une psychiatrisation généralisée de la société. Tout doit relevé de la psychiatrie. La psychiatrie veut tout prendre en charge. Sauf la maladie mentale. On ne parle plus d'ailleurs de psychiatrie mais de santé mentale, ce qui englobe un champ beaucoup plus vaste. Ce que l'on appelait jadis des originaux, des doux dingues, qui vivaient dans la cité, parfaitement adaptés et reconnus, tombent aujourd'hui dans les filets psychiatriques dont ils ne ressortiront plus, sous contrôle s'il le faut, je le répète de la justice et de la police. En même temps, 40% environ de la population carcérale est composée de psychotiques. J'ignorais que la prison est un lieu de soins. Il faut croire que si.

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