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13 mai 2020

COMEDIANTE TRAGEDIENTE

janus_-1

Après le premier entretien, c'était clair.

Avec lui, ça allait être sportif et rock'n roll. Dans sa volonté de mise en échec du soignant, il m'entrainait dans un véritable champ de mines. Je devrais donc faire très attention où je posais les pieds.

 

Je résume.

 

Tout de suite, dès ses premières paroles, il me mit en position non seulement d'échec mais aussi d'infériorité.

Premièrement, c'était un cas difficile, particulier, unique. Il n'en était pas deux comme lui. Un cas auquel personne n'avait pu comprendre quoique ce soit. Et il ne voyait pas pourquoi j'aurais été plus malin que les autres.

Deuxièmement, je n'étais qu'un, modeste, infirmier. Autrement dit un manœuvre, un tâcheron, un humble. Indigne de lui. Il aurait apprécié être reçu par un médecin. D'accord la règle était la règle et elle voulait que l'on soit d'abord accueilli par un infirmier. Mais il estimait que pour lui, nous aurions dû faire une exception. Du reste, comment ne l'avions-nous pas compris immédiatement ? Erreur fatale qui démontrait notre incompétence à tous.

 

La présence de l'interne n'y fut pas pour rien au contraire. D'entrée il nous plaça, lui et moi, sur le terrain de la rivalité de mâle. Fermement décidé à engager avec moi un duel sanglant de testostérone.

Situation insupportable, je suis derrière le bureau et lui devant. Il m'estimait en une position indue de supériorité et lui en une position, scandaleuse autant qu'inacceptable, d'infériorité. Et il allait s'employer à établir sa positon naturelle de dominant. Chacun à sa place et qu'il n'en bouge plus !

 

Quant à moi, je refusais le combat. Je n'étais pas là pour la bagarre phallique. Je jouais, du moins dans un premier temps, la soumission. Mon ego, qui en avait vu bien d'autres, n'en saignerait pas. C'était pour moi le seul et unique moyen de tenter ce que l'on appelait dans notre jargon, une accroche. Rien n'était moins sûr, évidemment, que la réussite de mon stratagème. Mais il n'est pas nécessaire d’espérer réussir pour entreprendre n'est-ce pas. Et puis c'était mon boulot et je ne faisais que mon boulot. D'autre part, je l'avoue volontiers, j'aimais ce genre de challenge. Les gens trop simples, les situations trop faciles m'ennuyaient. Je n'étais d'ailleurs pas le seul.

Pour me compliquer les choses, il était intelligent, voire brillant. Et visiblement cultivé. Ce qui n'allait pas, j'insiste, me simplifier le travail.

 

Malgré tout la force, la puissance dont ce genre de personnalité fait montre, attention fragile. A manipuler avec précaution. Ce sont des êtres profondément blessés, fracassés de partout. Des écorchés vifs dont il est très facile, et sans le vouloir, de rouvrir des blessures anciennes qui n'ont jamais vraiment cicatrisé. Et de les faire voler en éclats.

 

Assis en face de nous, il jouait un rôle. Le rôle de l'être d'une essence supérieure à tous les autres. Dans l'immense souffrance, l'infini malheur d'être incompris. Donc mal aimé et mésestimé. Injustement. Style génie maudit des hommes.

Comme tous ses semblables, ce n'était le premier du genre que je rencontrais, c'était un comédien et un tragédien né. Avec un sacré talent pour travestir la réalité. Et, au propre comme au figuré, se travestir.

Chez lui, rien d'histrionique. Au contraire. Une élégance cultivée avec un soin extrême et avec juste la pointe d'originalité qu'il fallait pour signaler à tout le commun des mortels qu'il se différenciait et qu'il était au dessus de l'ordinaire de l'espèce humaine.

Un langage châtié ou pour le moins soigné, des intonations, une gestuelle, des mimiques parfaitement réglées.

D'une préciosité qui ne sombrait jamais dans le ridicule, où rien n'était spontané, laissé au hasard, toute tendue vers la domination de la séduction.

 

Un acteur donc.

Mais un acteur débordé par un rôle qu'il ne maîtrisait plus. Qui ne vivait plus qu'à travers son personnage à en oublier qui il était réellement. On ne peut pas parler de double personnalité. Mais de deux identités. Souvent en conflit l'une avec l'autre.

 

Chez lequel il était bien difficile de dénouer le naturel de l'artificiel.

C'était pourtant, sans vouloir d'admettre, en le refusant de toutes ses forces ce qu'il avait demandé à tous les psys qu'il avait rencontrés.

Et c'était encore pour cela et dans les mêmes conditions qu'il était assis dans ce bureau en face de nous.

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