L'EAU DU PORT
Quelques fois, le soir, quand il fait nuit, David et moi, on se promène, en silence, main dans la main, comme des enfants perdus dans leurs rêves. On s'assoit au bord du quai, les pieds qui se balancent dans le vide en fumant un joint.
Ou pas.
On n'a pas besoin de se parler, on se comprend.
Ce n'est pas pour regarder les bateaux.
On s'en fout pas mal des bateaux qui partent toujours sans nous. Même si, souvent, on est pris d'une envie folle de sauter dans un cargo, de s'y planquer pour une traversée vers n'importe où, pourvu que ce soit loin.
Partir, partir et disparaître.
Non, ce n'est pas pour les bateaux mais pour l'eau.
L'eau noire, épaisse, lourde, froide, profonde où flottent des poissons crevés, englués dans des mares de mazout.
L'eau attirante, fascinante.
Attirante.
Fascinante.
Je le sens dans les doigts de David.
David le sent dans mes doigts.
Cette envie d'un néant à portée de main.
Il suffirait de si peu de choses.
Un appui sur les mains, un léger basculement, un dernier regard à l'autre et on se laisse glisser.
Le grand plongeon définitif qui recouvre tout.
Disparition garantie.
Avec un peu de chance, si l'océan voulait bien faire preuve d'un peu de bonté à notre égard, il ne nous rejetterait pas sur une plage, au hasard de ses vagues, pour nous laisser pourrir au soleil.
Il nous emporterait très loin et très profond.
Une très longue, très lente, très douce descente dans une obscurité sans angoisse, sans cauchemar, sans hallucination.
Et ce serait un autre monde.
David frissonne, je frissonne, on a froid.
Dernière clope l'un contre l'autre et deux mégots de plus au milieu du mazout.
On rentre.
L'autre monde n'était pas pour maintenant.
Demain.
Peut être demain.