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25 juin 2017

GRANDEUR ET DÉCADENCE DE LA PSYCHIATRIE

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Ma génération débarque en psychiatrie au milieu des années 1970, environ vingt cinq ans après ce que l'on peut considérer comme la première révolution psychiatrique. Ce quart de siècle commence avec l'apparition des neuroleptiques qui permettent de passer de l'asile à l'hôpital, de l'aliéniste au psychiatre, du gardien à l'infirmier, de l'aliéné au malade, de l'enfermement pur et simple au soin avec, en particulier, la mise en place des thérapies institutionnelles.

 

La psychiatrie avait, en ces deux décennies et demi, fait un bond de géant. Pourtant l'image de la folie et du fou ne s'était pas amélioré pour autant. Même si des portes s'ouvraient et largement, le fou et la folie restaient confinés derrière les barreaux et les murs asilaires. Il fallait donc une seconde révolution pour l'installer en ville.

 

L'époque y était favorable. Rendons à César ce qui est à César. Nous avons eu la chance d'y vivre sous l'un des meilleurs, sinon le meilleur ministre de la santé qu'il m'est été donné de connaître, je parle de Simone Veil. Comme l'argent ne manquait alors pas, elle fut généreuse avec la psychiatrie. Elle finança sans hésiter l'humanisation des hôpitaux, c'est à dire l'amélioration notable des conditions d'accueil et d'hébergement, elle encouragea la recherche et l'expérimentation de nouvelles techniques de soins, l'ouverture de structures hospitalières.

 

Épique époque ! Les idées fusaient de partout, les débats se multipliaient à l'infini, alors comment, portés par notre juvénile enthousiasme, n'aurions-nous pas plongé dans ce maelstrom intellectuel d'où allait surgir la seconde révolution psychiatrique ?

 

Il ne s'agissait plus seulement de faire table des restes du passé asilaire, il fallait détruire l'hôpital, lui-même, lieu d’enfermement pour installer le fou au sein de la cité, au milieu des autres hommes ses semblables. Nous nagions en pleine utopie, maniant avec délectation tous les grands concepts du temps.

 

L'avons nous réussi notre révolution ? En un sens oui. Naturellement, et heureusement, nous n'avons pas fait table rase du passé, l'hôpital existe toujours et même s'il est parfois un lieu d'enfermement, il y a toujours des malades qu'il est extrêmement difficile de faire sortir et de faire vivre à l'extérieur, il a encore toutes les raisons d'être. Notre révolution voulait aller un peu trop loin tout de même.

 

C'est avec l'énergie de notre belle utopie que nous avons pu mettre en place une véritable politique de secteur, mettre sur pied des structures de soins et d'accueil alternatives qui évitent l'hospitalisation autant que faire se peut, tisser des réseaux avec tous les autres partenaires sociaux et médicaux, envisager la notion d'urgence nouvelle en psychiatrie, faire se rencontrer psychiatrie et monde du travail, de l’économie de la politique, de la culture etc...

 

En un mot comme en cent, enfin, nous sommes parvenus à ce que nous voulions, faire vivre le fou et sa folie dans la cité. Mais...

 

Mais cependant, je ne regarde pas l'évolution des choses sans inquiétude.

 

En effet, la psychiatrie que nous voulions libératrice me semble prendre un tout autre chemin tant sous l'impulsion du politique, toujours plus sécuritaire que des psychiatres eux-mêmes. Je crois que nous nous éloignons de plus en plus de ces lendemains qui chantent dont nous rêvions. Les docteurs Knock de la psychiatrie considèrent que tout homme sain d'esprit est un fou qui s'ignore. Nul ne doit échapper à l'oeil vigilant de la santé mentale qui décide très arbitrairement ce qui est normal et ce qui ne l'est pas, c'est à dire de ce qui est socialement tolérable et ce qui ne l'est pas. Et entre normalité et anormalité l'écart se réduit de plus en plus.

 

Il y a une hyperpsychiatrisation de la société. Les psychiatres, complices des grands labos pharmaceutiques nous dispensent généreusement leurs petites pilules du bonheur qui doivent nous protéger contre le malheur, la douleur, la tristesse, la colère, le deuil, le chagrin d'amour et j'en passe. Éprouver des émotions semble relever aujourd’hui de la pathologie.

 

Vous vivez mal, vous agissez mal, vous pensez mal, notions oh combien sujettes à caution, donc vous êtes malades, donc vous avez besoin de soins. Cela me rappelle étrangement les systèmes totalitaires du siècle passé. La psychiatrie voudrait-elle contribuer à créer un homme nouveau ? C'est à dire un être stérilisé qui ne posera aucun problème aux princes qui le gouvernent ?

 

Le secteur qui a pour but d'installer les lieux de soins au milieu de la population concernée est en train de devenir au véritable maillage auquel il va devenir de plus en plus difficile d'échapper.

 

Bientôt, j'espère me tromper, mais je peux pas m'empêcher d'y penser, le non politiquement correct relèvera un jour lui aussi de la psychiatrie. On ne sera plus dans l'opposition mais dans la déviance. Non, dans le trouble de la personnalité. Et ça, ça se soigne, ça se traite, ça se corrige.

 

Heureusement, il reste un espoir, un espoir qui vient des malades eux-mêmes. Alors que la pratique psychiatrique se rigidifie, les malades mentaux, les fous, bougent, parlent, réclament leurs droits, refusent d'être les otages d'une paupérisation de la psychiatrie, exigent des soins de qualité, contraignent l'ensemble de la société à regarder la folie dans les yeux et à la reconnaître. Refusant d'être pris en charge comme des « incapables majeurs », ils se veulent acteurs de leurs soins et créateurs de leur vie. Ils ne veulent pas que la psychiatrie les guérissent mais lui réclament de les aider à vivre totalement dans ce monde des hommes dont ils ont été exclus pendant si longtemps.

 

J'espère très fort qu'ils réussiront là où nous avons, du moins en partie, échouer.

 

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