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10 février 2017

QUARANTE ANS DE PSYCHIATRIE / NON, CE N'EST PAS DIFFICILE

large

Tu as fait un métier difficile. Ce devait être dur. Dangereux aussi.

 

Non, ce ne fut pas dur, pas dangereux. Même pas difficile.

 

Non, ce n'est pas difficile, dur ou dangereux de vivre avec la folie.

 

Il suffit de ne pas en avoir peur. Et il n'y a aucune raison d'en avoir peur. C'est par peur que l'on a enfermé les fous si longtemps derrière les hauts murs aveugles des asiles. Pour se protéger de quoi, de qui ? Il n'y a davantage de criminels de tous poils chez les fous que chez les autres. Proportionnellement même beaucoup moins. Mais qu'un psychotique commette un meurtre ou un viol en état de démence et ça fait la une de tous les journaux écrits, radios, télévisuels pendant quinze jours. Les politiques promettent des mesures de protection car le citoyen a peur. Ils vont débloquer des budgets. Mesures de protection et budget n'arrivent jamais.

 

Pourquoi donc avons-nous tellement peur de la folie, des fous, des folles ? C'est un peu comme la peur du loup. La peur du fou est ancestrale, atavique.

 

C'est bien pourquoi, comme on chassait le loup, on a trop longtemps enfermé les fous. Un fou s'échappe de l'hôpital ? C'est le grand rappel à la chasse au fou et ça fait trembler à vingt heures dans les chaumières.

 

Pour se protéger de qui, de quoi ? De l'étrange, du bizarre, du différent, du pas comme les autres, de celui ou de celle qui expriment leur folie, leur angoisse, leur peur sans dissimulation. Qui expriment ce qu'ils sont et ce que nous sommes tous mais que nous nous refusons à voir. Pour se protéger de celui ou de celle que nous pourrions devenir, que nous sommes déjà. Car nous sommes tous, plus ou moins potentiellement, fous à lier.

 

C'est quoi, c'est qui un fou, une folle ? Un être dangereux, nocif, toxique ? Un pervers dévoreur de petits enfants ? Rien de tout cela ! J'en ai connu des fous. Je peux compter les individus vraiment dangereux sur les doigts d'une main. Si je me promène une heure dans les rues de ma ville, je n'aurai sans doute pas assez de mes deux mains...

 

La seule folie qui m'a vraiment fait peur, ce n'est pas celle de l'autre ! C'est la mienne ! La seule avec laquelle il a été difficile de vivre, ce n'est pas celle de l'autre, c'est la mienne ! C'est dangereux la folie.

 

Car je suis fou, n'en doutez pas. Il ne suffit de me regarder droit dans les yeux, le matin dans mon miroir pour voir dans mes yeux ce visage étrange et pourtant familier de ma folie. Je suis fou et je ne vous dirai jamais à quel point ! Je revendique ma folie, je l'affirme, je l'expose. Avec le temps, nous avons fini par nous habituer l'un à l'autre. C'est même ma meilleure amie...

 

Et vous aussi, oui, vous qui me lisez, n'en doutez pas davantage, vous êtes fous !

 

Alors, acceptons notre folie, regardons la droit dans les yeux. Désaliénons la de tous les murs de couvent que famille, religion, morale, éducation ont dressés pour mieux non pas l'enfermer elle, mais nous enfermer nous. Chacun de nous. Parce que si chacun d'entre nous exprimons notre folie, nous deviendrons des êtres particuliers, différents de tous les autres, uniques. Ce qui pour une société normalisatrice est intolérable. Où sont passés ce que l'on appelait les « doux dingues », qui n'avaient jamais vu un psychiatre de leur vie ? Ces êtres originaux et qui affichaient leur originalité ? Rentrés dans le rang, pris en charge par une psychiatrie chaque jour plus totalitaire. Où seraient ces génies créateurs, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Apollinaire, Mozart, Beethoven, Raphaël, Vinci, Modigliani, Wilde, Bowie, Dylan et j'en passe de nos jours ? Pris en charge par une équipe pluridisciplinaire et le monde y aurait tout perdu. Parce qu'ils étaient tous plus fous les uns que les autres. Seule la folie est créatrice. J'en veux pour preuve ces milliers de créations, cette production extraordinaire des fous dans les asiles d'autrefois. On ne crée jamais par la raison. Que donc ont créé tous ces maîtres de sagesse qui nous bassinent et dont on nous bassine ? Rien, si ce n'est que de piocher les uns dans les autres pour faire ce qu'ils croient être une œuvre originale. Foutaise que les Jésus, Bouddha, Mahomet, Dalaï lama et que tous les autres ! Ils cherchent simplement à nous guérir de nos désirs, de nos émotions, de nos délires, de nos angoisses, en un mot, de notre folie. C'est à dire de nous-mêmes.

 

Je sais que, par expérience personnelle et professionnelle, la folie est chose douloureuse. Mortelle parfois. Je le sais. Chaque fois que j'entends parler des fous heureux, je vois rouge. Car il n'y a pas de fous heureux. Même quand il rit, le fou rit par folie et non pas par pur bonheur. La folie est souffrance. Il n'y a pas de folie douce, il n'y a que des folies furieuses. Mais il est encore bien plus douloureux que de vouloir l'étouffer, la refouler ? C'est contre nature.

 

S'il n'est pas facile de vivre avec sa folie, il est encore plus difficile de vivre sans elle.

 

Laissons les fous vivre leur folie.

Ne cherchons pas à les guérir.

Aidons les à vivre.

 

Ne payons pas, très cher, des psychanalystes pour guérir de la nôtre.

 

Vivons là puisqu'elle peut, si nous la laissons faire, nous faire vivre.

 

Si, comme le préconise ce vieil Érasme on redonne à la folie droit de cité, je ne crois pas que tout cela soit vraiment difficile.

 

Finalement

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
F
Merci Christian. Pourtant il m'en a donné donne du mal l'Alexis
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V
Magnifique article, François
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