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13 novembre 2016

QUARANTE ANS DE PSYCHIATRIE I

« J'ai fait toute ma vie un métier que je ne m'aimais pas, et je l'ai fait que mieux que je pouvais. »

 

Dixit mon père qui fit ce métier bien avant moi. Je me suis longtemps demandé ce qu'il voulait dire par là. Je suis encore aujourd'hui incapable de l'expliquer. Mais je sais néanmoins ce qu'il exprimait. Oui, il l'a exercé du mieux qu'il le pouvait, il fut un grand professionnel et sa carrière fut exceptionnelle. S'il est un domaine où j'éprouve pour cet homme une admiration sans borne, c'est bien dans le domaine professionnel. Et c'est en en parlant, sans en avoir l'air, qu'il m'en a transmis l'essentiel. Reconnaissance.

 

Ce n'était pas une vocation mais la nécessité de gagner ma vie après le bac. En sachant que, comme j'étais le fils de mon père, les portes m'étaient ouvertes, comme à ma sœur et à mes frères, sans que j'ai besoin d'y frapper. Je me souviens encore de ce matin brûlant d'août où j'ai vêtu pour la première fois la blouse blanche sous le regard je crois attendri et fier de mon père. S'il ne m'a jamais obligé à devenir infirmier psy, je crois que quand même, oui, il était heureux que le dernier de ses fils entre dans la carrière psy. Et dans cet hôpital qu'il avait avec deux médecins, en 1948, relevé de ses ruines consécutives à l'occupation nazie, maintenu à flot. De l'asile de fous, il a contribué de toutes ses forces à faire un hôpital, un lieu de soins. Le respect du malade était sa valeur professionnelle absolue. Oui, je peux le dire avec une grande et légitime fierté, mon père fut un grand infirmier psychiatrique. Médecin, collègues, malades n'ont pas cessé de me le répéter. Ah votre père ! Ah ton père ! Pourtant il n'a pas dû être facile dans son rôle de chef, on dit cadre aujourd'hui. M ais même ceux qui le détestaient, il n'avait pas que des amis, même ceux là en parlaient malgré tout avec admiration. Pendant des décennies il a été un des piliers de cet établissement. En fin de carrière il en était un monument historique. La mémoire vivante. Je ne suis pas certain que ce rôle lui plaisait vraiment. Il s'en sentait un peu mis sur la touche en fin de carrière. Intelligemment, il a préféré partir, deux ans avant l'âge de sa retraite. Belle preuve de lucidité, de compétence, d'honnêteté.

 

Je lui devais ce rapide hommage.

 

Foutu métier ! Comme tous les infirmiers de secteur psychiatrique, combien de fois l'ai-je dit, foutu métier ? Métier de chien aux horaires impossibles, aux conditions déplorables, au milieu des fous, pas toujours aussi dangereux qu'on le dit dans le grand public du reste. Très rarement dangereux. Et comme tous les infirmiers de secteur psychiatrique, je l'aurai fait du mieux que je pouvais. Parce qu'eu fond, comme tous les autres, je l'ai aimé. Oui, je l'ai aimé. Parfois aussi je l'ai détesté.

 

J'ai fini par ne plus dire ce que je faisais comme métier quand on me le demandait. Je disais juste infirmier. Dès que je précisais infirmier psychiatrique, les conneries commençaient. Et ça m'énervait. Non, ce n'est pas plus dur que de travailler sur les chantiers par tous les temps. Non, ce n'est pas plus difficile que d'enseigner à une trentaine d'insupportables gamins. Et c'est certainement plus agréable que de gratter du papier assis derrière un bureau toute la saint journée. Il y avait aussi des réactions agressives. Que n'avons pas entendu ! De quoi n'avons-nous pas été traités ? Bourreaux, nazis, SS, pervers, sadiques et j'en passe, la liste est loin d'être close. Ce qui m'agaçait le plus c’était : pourquoi vous empêchez les gens d'être fous ? Ce doit être génial d'être fous ! Peut être génial si souffrir atrocement est génial mais j'en doute fort. Réaction agaçante mais qui s'explique par la méconnaissance de la folie et par la peur qu'elle inspire.

 

Ce métier m'a appris beaucoup de choses. Mais voilà certainement la plus grande leçon que j'en ai retirée. Je n'ai jamais vu ni le malade ni le handicapé mental. Pas plus que la maladie. Quant au diagnostic qui n'est souvent qu'une étiquette qui ne signifie pas grand chose. C'est aux médecins de le poser, pas aux infirmiers. Je n'y ai pris en compte que l'être humain. Je reste encore aujourd'hui persuadé que d'accueillir un malade, aussi mal soit-il, comme on accueille n'importe quel citoyen X ou Y est le premier acte thérapeutique. Que de maintenir avec lui ou elle une relation comme avec le même X ou la même Y est essentielle. Il suffit de s'adapter aux circonstances, d'ajuster son discours à celui de l'autre. Ce qui, ma foi, est le propre de toute relation humaine. En psychiatrie c'est à dire dans la relation thérapeutique comme ailleurs. Spécificité de la relation thérapeutique, quoique soit l'autre, quoiqu'il est fait, nous sommes des soignants, pas des juges, pas des moralistes.

Nous nous plaçons de facto au delà de tout jugement de valeur ou moral. Même si parfois c'est difficile. Parfois des assassins, des violeurs, des pédophiles, des pervers multiples et variés. Même si nous devons faire abstraction de nos sentiments, nous ne sommes pas des ordinateurs. Est-ce de l'humanisme ? Ne nous masturbons pas avec les grands mots, les grandes idées. Seulement de la simple humanité.

 

Toute compassion est non seulement inutile mais aussi et surtout contre productive, compassion ou souffrir avec l'autre. Je m'y suis toujours refusé. Cette attitude typique du dolorisme judéo-chrétien est anti thérapeutique au possible. Souffrir avec l'autre de sa souffrance à lui est soit une illusion, soit une escroquerie. Je me suis toujours efforcé d'être parfaitement clair et honnête.

 

La pitié non plus n'y a pas sa place. Quel sentiment dégradant que la pitié ! Il entre dans ce sentiment toujours, pour le moins de la déconsidération de l'autre voire une nuance de mépris. La pitié est humiliante. Encore un concept judéo chrétien qui n'a rien à voir avec la prise en charge de la maladie, de la souffrance, de la douleur et du désespoir qui souvent les accompagne.

 

Je n'ai jamais cherché à guérir qui que soit mais très modestement, à mon niveau et selon mes compétences, je me suis efforcé, non de combattre la folie, mais d'accompagner un être humain, de l'aider à exprimer sa souffrance, ses angoisses, ses délires, ses hallucinations. Parce que je considère que c'est un droit imprescriptible du fou que de pouvoir exprimer sa folie et que de l'y accompagner et de lui en donner les moyens est un devoir absolu pour tout soignant en psychiatrie.

 

Je n'ai jamais cherché à être utile à l'autre. Ça veut dire quoi, être utile ?

 

Je n'ai d'ailleurs jamais rien cherché. Aucune gratification, autre naturellement que mon salaire, aucune reconnaissance.

 

Je suis de cette génération qui, sur les bases jetées par nos « grands ancêtres », a créé la psychiatrie du XX° siècle, ouverte sur le monde, dans un mouvement volontariste de désaliénation, plaçant la folie, le fou, au milieu de la citée. Nous avons bâti tous les projets alternatifs à l'hospitalisation, diminué considérablement les lits d'hospitalisation (de plus de mille lits j'ai vu l'hôpital passer à moins de quatre cents). Parallèlement la chimiothérapie faisait de fulgurants progrès permettant de faire évoluer les prises en charges, de les individualiser au plus juste. Je suis de cette génération qui après avoir désaliéné les esprits a voulu pousser plus loin et les rendre libre malgré leur folie, avec leur folie, à cause de leur folie. Même si tout ne fut pas rose et violette, ce fut une aventure passionnante.

 

Je suis parti deux ans avant l'âge légal de ma retraite. Comme mon père. Comme mon père, je ne me sentais plus « dans la course ». Les choses avaient continué à évoluer et je n'avais pas suivi. Moi aussi, j'ai eu mes limites.

 

Ces quatre décennies sont derrière moi. Je ne suis plus qu'un infirmier psy en retraite. C'est à dire que je le resterai toute ma vie. Malgré moi et à l'insu de mon plein gré comme disait l'autre. Ce métier vous tatoue l'âme et le corps de façon indélébile. S'il n'est pas devenu notre identité, il est devenu notre seconde nature. D'autant que, du moins jusque dans ma génération, infirmier de secteur psychiatrique, c'est à dire vivre avec les fous et leur folie, a fait de nous des êtres plus tout à fait comme les autres. Un peu différents du reste l'humanité. Du clan de ceux qui ont apprivoisé, peut être, la folie.

 

Plus tard je vous parlerai des fous.

 

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